Voilà très longtemps que je n'ai pas parlé cinéma et autres images mouvantes, et il faut bien dire que j'ai rarement l'impression d'avoir des choses intelligentes à dire qui n'aient pas déjà été présentées bien mieux ailleurs...
Mais en très gros et en vrac (l'ordre chronologique n'est pas respecté), voici une petite dose de subjectivité sur les films que j'ai vus récemment :
Océans
Remarquables images, photographie techniquement époustouflante, commentaire relativement discret si l'on oublie l'apparition très guimauveuse du réalisateur et de son fils. Le film réussit son pari de tenir un public béotien devant des images documentaires pendant pas loin de deux heures sans l'ennuyer, ce qui n'est pas rien compte tenu du peu d'empathie couramment manifesté envers l'écrevisse moyenne.
Rassurez-vous, le mammalocentrisme est respecté : on s'y intéresse plus aux vertébrés qu'aux crustacés, plus aux tétrapodes qu'aux téléostéens et plus aux pinnipèdes qu'aux iguanes, mais la diversité représentée est tout de même intéressante. Les plans rapprochés de baleines sont particulièrement frappants, une espèce de version géante et marine de Microcosmos, dont les extravagances techniques sont rendues possibles par une liste de sponsors longue comme le bras qui prend les trois quarts du pré-générique. Pour vous donner une idée, il y a trois médecins spécialistes de la plongée et des accidents de décompression crédités à la fin. Trois.
Au final, j'en garde quelques images incroyables, mais aussi un certain sentiment de frustration, parce que je n'ai pas réussi à m'empêcher de me demander alternativement «Mais de quelle(s) espèce(s) s'agit-il ?» et «Mais comment diable ont-ils pu filmer ça ?»
Il faut croire que mon addiction à Wikipédia (oui, même au point de m'arrêter au milieu du visionnage d'un film pour vérifier un truc) commence à sérieusement entamer ma capacité à apprécier le moment présent... Ceci avoué, si vous n'êtes ni biologiste affligée d'un rapport conflictuel avec la taxonomie, ni control-freak psychorigide, ce ne devrait pas être un problème pour vous (par exemple, ma môman, que personne ne peut soupçonner de tomber dans aucune de ces catégories, a adoré).
Et pour ce qui est des questions techniques, la plupart des réponses sont à trouver sur le site du film, ou par là :
La Reine des Pommes
C'est Le Hasard qui m'a emmenée voir cet étrange film français, qui malgré son nom n'est pas une adaptation du roman de Chester Himes. Il ne se contente pas d'être un film français, c'est un authentique Film FrançaisTM, avec ce que ça peut avoir de plus caricatural : personnages qui passent leur temps à parler de leurs sentiments sans paraître les éprouver, situations oscillant entre le trop quotidien et le trop invraisemblable, héroïne qui se met sans prévenir à chanter une bluette a capella ou à se lancer dans une danse interprétative de ses émotions...
Dit comme ça, ça fait beaucoup pour un seul film, mais je ne me suis finalement pas ennuyée parce qu'il a la bonne idée de ne pas se prendre au sérieux. Le détachement permet un humour certain (il y a des dialogues qu'il faudra absolument que je recase), et même --oserai-je le dire-- une certaine réflexion formelle sur les conventions de la narration : à certains moment les personnages semblent suivre les instructions de la voix qui fait la narration, plus que celle-ci ne semble décrire leurs actions.
C'est presque par moment le film de ce qu'on imaginerait si on lisait cette histoire dans un roman...
Et puis la résolution finale de la principale absurdité du film (personnages multiples joués par le même acteur) renforce l'idée que ce n'est pas tant une histoire en tant que telle, que la suite d'événements correspondant à cette histoire (peut-être décrite par le personnage principal).
En résumé : intriguant, réjouissant par moment, mais la prochaine fois, franchement, évitez les chansons.
The Ghost Writer
Que les choses soit claires : ce film a été un choc pour moi, dès les premières minutes, et j'ai mis le reste de la séances à m'en remettre. Le choc en question n'a rien de cinématographique, il est générationel, et peut se résumer à la réalisation brutale que OMG Ewan McGregor is middle-aged.
Ewan Mc Gregor.
Les sourcils d'Ewan en 1994 et en 2010 respectivement. Le crush de mes treize ans dans Petits meurtres entre amis1 va avoir quarante ans, ce qui ne qui ne m'empêche pas de toujours vouloir épouser ses sourcils si jamais ils veulent bien de moi.
Et la preuve que j'ai vieilli, c'est bien sûr que je les trouve encore mieux aujourd'hui que quand j'avais treize ans, même si mon moi adolescent n'aurait pas nécessairement été d'accord...
Et à part ça, le film ? hé bien l'un des barbus avec qui je l'ai vu l'a trouvé nul nul nul nul nul, d'autres le considèrent comme le chef-d'œuvre de l'année, mais franchement je n'ai rien vu dedans qui justifie une telle outrance, dans quelque sens que se soit. Les acteurs ne sont pas mal du tout, avec le plaisir (un peu idiot je l'admets) de retrouver des visages familiers : les sourcils d'Ewan McGregor, Nathan Ford de Leverage (Timothy Hutton), Adele Dewitt de Dollhouse (Olivia Williams)2...
L'histoire se tient bien, la progression est ficelée dans les règles de l'art, les images sont très «atmosphériques» comme disent les anglo-saxons3, la fin est climatique mais pas trop... On n'en attendait pas moins de Polanski, mais justement l'ensemble m'a paru exactement attendu. J'en suis sortie pas mécontente mais globalement indifférente, au point d'aller cuisiner mes camarades pour voir ce que, eux, avaient ressenti. Moi ? À peu près rien. Film suivant.
The Limits of Control
Sur le plan esthétique, je n'ai absolument rien contre le fait de contempler Isaach de Bankolé vaquer à quelqu'occupation que ce soit pendant une ou deux heures. Le fait que le scénario soit à la fois hautement structuré (tant selon les codes de la quête initiatique que ceux du roman d'espionnage) et complètement incompréhensible ne me traumatise pas outre mesure. Je pense d'ailleurs que j'ai plus apprécié ce dernier film que le précédent, Broken Flowers, pourtant doté d'un fil narratif en bonne et due forme et d'approximativement dix fois plus de dialogues (mais il faut dire que Bill Murray se laisse moins bien contempler que Isaac de Bankolé).
La seule chose qui m'ait dérangée est la pétasse à oilpe sous son imper transparent, mais j'imagine que ça faisait partie des règles du jeu.
Ceci posé, suis-je en mesure de recommander ce film à tout le monde sans réfléchir ? Pas du tout, parce que certains de mes amis quitteraient la salle au bout d'un quart d'heure et me feraient la gueule un bon moment si je les mettais devant ce film. D'autres adoreront sans doute, mais la majorité gagnera à savoir exactement dans quoi elle se lance...
Tsar
Eh oui, je ne me contente pas d'aller voir des films francaisTM, ou des films artsyTM, je vais aussi voir des «films étrangers» (comprenez : ni anglais ni américains), voyez comme j'ai les idées larges...
C'est un film monumental (au sens littéral) qui se collette avec le personnage le plus colossal et le plus iconique de l'histoire russe avec Pierre le Grand : Ivan le Terrible. Figure tutélaire pour le moins ambivalente, il est à la fois le fondateur de la Russie en tant que nation, et le tyran sanguinaire4 peint par le célébrissime film-fleuve d'Eisenstein. Ici, il est représenté comme cruel et surtout complètement fou, mais aussi comme sincère et torturé par le poids de l'écrasant objectif qu'il s'est donné.
Je ne suis absolument pas en mesure de juger de l'exactitude historique des faits représentés, mais je ne pense pas qu'ils soient scandaleux même pour les parties inventées. Le personnage de la petite fille sauvée des soudards par sa simpliciité d'esprit qui la rapproche de Dieu est par exemple parasite, mais c'est une critique assez secondaire pour une fresque de cette dimension : Ivan est magnétique, son adversaire martyre, le métropolite5 Filip, est hantant, la folie du tsar est un authentique délire et la réalisation est d'un classicisme remarquable.
Certes, on n'est pas là pour faire dans le subtil et l'understatement, mais c'est qu'on parle du fondement de l'âme russe, mince ! On n'échappe pas au simplisme de la rhétorique du mal absolu, mais c'est une des conventions du genre (Eisenstein bien sur, mais plus simplement, Richard III...) Certains plans-séquences m'ont paru de vrais morceaux de bravoure, je pense en particulier à l'habillement progressif d'Ivan qui passe de sa cilice de bure dans sa cellule de prière à la magnificience de son habit de cour : un grand moment...6
Et puis à titre personnel, ça m'a fait très plaisir d'entendre parler russe !
Mais c'est qu'il se fait déjà tard. Je vais donc en rester là pour le moment, en vous épargnant les films que j'ai vu sur petit écran. Je vous promets cependant une suite thématique à ce billet, qui inclura de l'hématologie et Kiefer Sutherland avec une coupe mullet. Si avec ça, vous n'êtes pas appâtés...
Pour terminer, et sans rapport aucun, j'aimerais juste partager ma découverte d'un animal qui saura restaurer en vous une indéfectible joie de vivre : ce tarsier-là.
1. Je me rends compte que je peux encore dire précisément avec quels amis je suis allée le voir (Salut Dom, salut, Hinde, tout va bien chez vous ?) alors que mon emploi du temps de la semaine dernière commence déjà à se mélanger dans ma tête. Mieux se souvenir d'histoires vieilles de quinze ans que de celles de la veille, c'est un symptome de sénilité, non ?
2. Je n'ajoute pas l'assistante, qui est jouée par une des actrices de Sex and the City, dont le nom m'échappe, parce que j'ai vu un total de un épisode et demi de cette série, et que je préfère refouler le fait que mon côté bonne poire m'a fait accompagner des amies voir le film. Le film de Sex and the City. The horror. J'espère que ça vous donne une idée de ce que je suis prête à faire pour mes amies. Mais la prochaine fois, si j'ai le choix, je préfèrerais combattre un alligator à mains nues, s'il vous plaît.
3. Ce qui me rappelle que je viens d'apprendre l'expression pathetic fallacy (~réification), merci à Nim et Mr. V. pour la définition et les précisions sur Ruskin.
4. Pour citer Mr. V., de mémoire « Enfin bon, on ne soumet pas la moitié de la Russie en ayant une diplomactie de bisounours ». Dont acte.
5. Un des mots les plus drôles de la langue française, vous en conviendrez...
6. Je lis que le Dr. Devo, que j'estime fort, n'est pas du tout, mais alors pas du tout d'accord avec moi sur le sujet. Je ne doute pas qu'il ait raison, mais à la décharge de mon appréciation de ce film historique, j'emprunterai ma défense à Sartre : je suis « une ribaude, une fille à soldats: mon cœur, mon lâche cœur préf[ère] l'aventurier à l'intellectuel » (Les Mots). (And the Trickster above them all...)