24 mai 2005
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Traducteur, traître.
Quand j'ai compris, vers quatorze ans (j'avais un prof d'anglais bizarre), que le proverbe italien était fondamentalement juste, ça m'a déprimé pendant un petit moment : je me demandais si cela valait vraiment la peine d'apprendre une langue étrangère (alors que c'est pour cela qu'il faut le faire!)...
Rassurez vous, j'en suis remise depuis, mais il m'en reste une admiration sans borne pour les bons traducteurs, et une certaine férocité pour les mauvais (1).
C'est sans doute pour quoi j'apprécie tant l'excellent weblog de Céline Graciet, qui traite de traduction et d'interprétariat, ou les notes de traduction dans les ouvrages sérieux.
J'ai découvert voilà quelques années maintenant que la traduction se composait en fait en plusieurs disciplines qui n'aboutissent pas du tout au même résultat...
Il y a, bien sûr, la traduction technique : celle qui vous explique qu'il faut insérer la vis dans le trou en haut à gauche du panneau rectangulaire.(2) C'est aussi celle des pages ouèbe commerciales, des contrats, des dépêches AFP : cette traduction ne se préoccupe que du sens.
Puis, par ordre de complexité, vient la traduction de textes littéraires. Si vous êtes un étudiant en traductologie, vous effectuerez une traduction scientifique, c'est à dire bourrée de notes de bas de pages et d'explications sur l'intraduisibilité de tel jeu de mot, les références culturelles et sociales de l'oeuvre ou les termes monétaires médiévaux en Bas Letton. Ce sera très intéressant, mais il ne faudra pas vous attendre à ce que cela se vende comme du Harry Potter.
Si au contraire, vous êtes employé par un éditeur pour traduire, justement, Harry Potter en anglais, vous ne pouvez pas vous retrancher derrière votre intégrité de traducteur en disant que "Hogwarts" est un nom qui porte trop de sens dans sa sonorité pour pouvoir être traduit en français. Vous le traduisez donc, pour le plus grands bonheur des jeunes lecteurs, "Poudlard" : c'est la traduction littéraire . Cela vous vaut la haine ferme et inextinguible d'un certain nombre de moins jeunes lecteurs, moi la première ; mais ce sont les risques du métier...
C'est ainsi qu'en cherchant à retransmettre non seulement le sens mais aussi le style d'un texte, le traducteur se voit obligé d'inventer, de laisser parler son imagination, de faire des concessions : donner un nom bizarre à un personnage, pour pouvoir traduire un jeu de mot, ou abandonner le jeu de mot? Choix difficile mais nécessaire. Et le choix des mots, des formules et des tournures permet d'imprimer sa patte à l'oeuvre.
Par exemple, Patrick Couton, l'immensément admirable traducteur de Terry Pratchett en français (3), a marqué à leur insu une génération de lecteurs de science-fiction, puisqu'en plus des chroniques du Disque-Monde, il a aussi traduit en français les Chroniques d'Alvin le Faiseur d'Orson Scott Card, ou encore plusieurs romans de Michaël Moorcock. Sans le savoir, presque tout le monde a lu du Couton.
Mais lorsqu'il s'agit de poésie, la traduction quitte le domaine de la compétence pointue pour entrer dans le royaume de l'impossible...
Il ne s'agit plus seulement de rendre dans une autre langue le sens, le style, et les références, mais aussi le rythme, la scansion, la rime et surtout.. la poésie.
Un bon exemple de ce dilemne est celui du célèbre poème If de Rudyard Kipling.
Si vous voulez une traduction fidèle, lisez celle de Jules Castier, mais vous ne reconnaîtrez pas le poème. Car tout le monde connaît une autre version, celle qui commence par :
Bon vous vous demandez sans doute pourquoi je raconte tout ça. La réponse en est : parce que je suis une incorrigible bavarde.
Ah, vous vouliez la cause proximale?
Eh bien parce que je voulais vous parler des différentes traductions d'un poème anglais sur lequel je ne cesse de tomber, mais j'ai voulu commencer par des généralités sur la traduction, et voilà où j'en suis!
Il va donc falloir attendre un peu, pour que je vienne compléter mon "Babel Web"( oui, je sais, c'est faible...).
(1) Ça a l'air brutal, dit comme ça, mais pour qu'un lecteur lambda se rende compte d'un problème, il faut y aller fort...
Dans mon cas, vu que je ne connaîs guère que l'anglais, ils y vont en général à grands coups de faux-amis de (aéroplane pour avion, désappointé pour déçu, blouse pour chemisier, paranoïde pour paranoïaque, etc.), et de calque maladroit.
Et puis il y a l'autre catégorie de "mauvais traducteurs", celles des traducteurs du dix-neuvième qui se croyaient autorisés à réécrire intégralement l'oeuvre. Groumpf.
Mais, heureusement, il y a les bons, qui se reconnaissent au fait qu'on les oublie complètement. C'est ingrat comme métier, quand on y pense, une oeuvre de l'ombre, un peu comme monteur au cinéma.
(2) Sauf lorsqu'elle a été effectuée par un tadjik germanophone à partir de la version coréenne, auquel cas elle vous informera de glisser le pointu à la point de le plaque derrière, et il ne vous restera plus qu'à vous reporter à la version anglaise....
(3) Il existe en enfer un département spécial où les traducteurs les plus scandaleux sont condamnés à traduire du Pratchett jusqu'à ce que le résultat soit absolument parfait. Je les plains.
Quand j'ai compris, vers quatorze ans (j'avais un prof d'anglais bizarre), que le proverbe italien était fondamentalement juste, ça m'a déprimé pendant un petit moment : je me demandais si cela valait vraiment la peine d'apprendre une langue étrangère (alors que c'est pour cela qu'il faut le faire!)...
Rassurez vous, j'en suis remise depuis, mais il m'en reste une admiration sans borne pour les bons traducteurs, et une certaine férocité pour les mauvais (1).
C'est sans doute pour quoi j'apprécie tant l'excellent weblog de Céline Graciet, qui traite de traduction et d'interprétariat, ou les notes de traduction dans les ouvrages sérieux.
J'ai découvert voilà quelques années maintenant que la traduction se composait en fait en plusieurs disciplines qui n'aboutissent pas du tout au même résultat...
Il y a, bien sûr, la traduction technique : celle qui vous explique qu'il faut insérer la vis dans le trou en haut à gauche du panneau rectangulaire.(2) C'est aussi celle des pages ouèbe commerciales, des contrats, des dépêches AFP : cette traduction ne se préoccupe que du sens.
Puis, par ordre de complexité, vient la traduction de textes littéraires. Si vous êtes un étudiant en traductologie, vous effectuerez une traduction scientifique, c'est à dire bourrée de notes de bas de pages et d'explications sur l'intraduisibilité de tel jeu de mot, les références culturelles et sociales de l'oeuvre ou les termes monétaires médiévaux en Bas Letton. Ce sera très intéressant, mais il ne faudra pas vous attendre à ce que cela se vende comme du Harry Potter.
Si au contraire, vous êtes employé par un éditeur pour traduire, justement, Harry Potter en anglais, vous ne pouvez pas vous retrancher derrière votre intégrité de traducteur en disant que "Hogwarts" est un nom qui porte trop de sens dans sa sonorité pour pouvoir être traduit en français. Vous le traduisez donc, pour le plus grands bonheur des jeunes lecteurs, "Poudlard" : c'est la traduction littéraire . Cela vous vaut la haine ferme et inextinguible d'un certain nombre de moins jeunes lecteurs, moi la première ; mais ce sont les risques du métier...
C'est ainsi qu'en cherchant à retransmettre non seulement le sens mais aussi le style d'un texte, le traducteur se voit obligé d'inventer, de laisser parler son imagination, de faire des concessions : donner un nom bizarre à un personnage, pour pouvoir traduire un jeu de mot, ou abandonner le jeu de mot? Choix difficile mais nécessaire. Et le choix des mots, des formules et des tournures permet d'imprimer sa patte à l'oeuvre.
Par exemple, Patrick Couton, l'immensément admirable traducteur de Terry Pratchett en français (3), a marqué à leur insu une génération de lecteurs de science-fiction, puisqu'en plus des chroniques du Disque-Monde, il a aussi traduit en français les Chroniques d'Alvin le Faiseur d'Orson Scott Card, ou encore plusieurs romans de Michaël Moorcock. Sans le savoir, presque tout le monde a lu du Couton.
Mais lorsqu'il s'agit de poésie, la traduction quitte le domaine de la compétence pointue pour entrer dans le royaume de l'impossible...
Il ne s'agit plus seulement de rendre dans une autre langue le sens, le style, et les références, mais aussi le rythme, la scansion, la rime et surtout.. la poésie.
Un bon exemple de ce dilemne est celui du célèbre poème If de Rudyard Kipling.
Si vous voulez une traduction fidèle, lisez celle de Jules Castier, mais vous ne reconnaîtrez pas le poème. Car tout le monde connaît une autre version, celle qui commence par :
Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie,
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir...
C'est la traduction d'André Maurois. Bien que moins fidèle, elle a une force lyrique qui fait qu'elle restera, pour tout les non-anglophones, la "vraie" version du poème Si...Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir...
Bon vous vous demandez sans doute pourquoi je raconte tout ça. La réponse en est : parce que je suis une incorrigible bavarde.
Ah, vous vouliez la cause proximale?
Eh bien parce que je voulais vous parler des différentes traductions d'un poème anglais sur lequel je ne cesse de tomber, mais j'ai voulu commencer par des généralités sur la traduction, et voilà où j'en suis!
Il va donc falloir attendre un peu, pour que je vienne compléter mon "Babel Web"( oui, je sais, c'est faible...).
(1) Ça a l'air brutal, dit comme ça, mais pour qu'un lecteur lambda se rende compte d'un problème, il faut y aller fort...
Dans mon cas, vu que je ne connaîs guère que l'anglais, ils y vont en général à grands coups de faux-amis de (aéroplane pour avion, désappointé pour déçu, blouse pour chemisier, paranoïde pour paranoïaque, etc.), et de calque maladroit.
Et puis il y a l'autre catégorie de "mauvais traducteurs", celles des traducteurs du dix-neuvième qui se croyaient autorisés à réécrire intégralement l'oeuvre. Groumpf.
Mais, heureusement, il y a les bons, qui se reconnaissent au fait qu'on les oublie complètement. C'est ingrat comme métier, quand on y pense, une oeuvre de l'ombre, un peu comme monteur au cinéma.
(2) Sauf lorsqu'elle a été effectuée par un tadjik germanophone à partir de la version coréenne, auquel cas elle vous informera de glisser le pointu à la point de le plaque derrière, et il ne vous restera plus qu'à vous reporter à la version anglaise....
(3) Il existe en enfer un département spécial où les traducteurs les plus scandaleux sont condamnés à traduire du Pratchett jusqu'à ce que le résultat soit absolument parfait. Je les plains.