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Un petit blog sans prétentions et sans ligne éditoriale fixe.

La langue d'Ésope

On m'a parlé aujourd'hui de quelque chose étant "comme les langues d'Ésope".
Le pluriel m'intrigué et je lui allée fouiller cette histoire. Ésope, le fabuliste phrygien, était l'esclave plein d'esprit du philosophe Xantus.

Un certain jour de marché, Xantus, qui avait dessein de régaler quelques-uns de ses amis, lui commanda d'acheter ce qu'il y aurait de meilleur, et rien autre chose. « Je t'apprendrai, dit en soi-même le Phrygien, à spécifier ce que tu souhaites, sans t'en remettre à la discrétion d'un esclave.» Il n'acheta donc que des langues, lesquelles il fit accommoder à toutes les sauces : l'entrée, le second, l'entremets, tout ne fut que langues. Les conviés louèrent d'abord le choix de ce mets ; à la fin ils s'en dégoûtèrent.  
« Ne t'ai-je pas commandé, dit Xantus, d'acheter ce qu'il y aurait de meilleur ?
- Eh ! qu'y a-t-il de meilleur que la langue ? reprit Ésope. C'est le lien de la vie civile, la clef des sciences, l'organe de la vérité et de la raison : par elle on bâtit les villes et on les police ; on instruit, on persuade, on règne dans les assemblées, on s'acquitte du premier de tous les devoirs, qui est de louer les Dieux.
- Eh bien ! dit Xantus qui prétendait l'attraper, achète-moi demain ce qui est de pire : ces mêmes personnes viendront chez moi ; et je veux diversifier.»

Le lendemain Ésope ne fit servir que le même mets, disant que la langue est la pire chose qui soit au monde : « C'est la mère de tous débats, la nourrice des procès, la source des divisions et des guerres. Si on dit qu'elle est l'organe de la vérité, c'est aussi celui de l'erreur, et, qui pis est, de la calomnie. Par elle on détruit les villes, on persuade de méchantes choses. Si d'un côté elle loue les Dieux, de l'autre elle profère des blasphèmes contre leur puissance.»
Les langues d'Ésope, c'est donc quelque chose qui peut être le pire ou le meilleur selon ce qu'on en fait.
Edit 14/10/2008 : Voir aussi une autre version de la même histoire dans le Dictionnaire du mensonge de Pio Rossi.

J'en ai profité pour lire  toute son histoire et je me suis bien amusée, en particulier en retrouvant des structures semblables à des histoires bien différentes, comme celle de la reconnaissance de dette qui se retrouve quasiment à l'identique chez Kalidasa, un poète indien antique.

Parmi les mots interessants à trouver dans ce récit, citons :
Escarbot, à ne confondre ni avec escabeau, ni avec escargot. Il s'agit en fait d'un scarabée, et les deux mots ont d'ailleurs la même racine : escarbot est populaire, scarabée est savant, comme la plupart des mots masculins en -ée (lycée, caducée...).
L'histoire de l'aigle, du lapin et de l'escarbot a été reprise par La Fontaine, et explique pourquoi les aigles pondent quand il fait encore froid (au cas vous vous seriez posé la question)...
Cédule (féminin) : Vieux terme pour une reconnaissance de dette, d'engagement...
De ce côté-ci de l'Altlantique, il n'est plus guère utilisé qu'en argot judiciaire français (cédule de citation) ou suisse (cédule hypothécaire).
Mais nos cousins québéquoués l'utilisent dans un autre sens, celui de programme, ou "schedule" en anglais (à prononcer skédoul' si vous êtes  Américain, chédioul' si vous vous sentez plutôt l'âme british). Maizalor, me direz-vous il s'agit donc d'un horrible anglicisme !
Oui et non...
Oui, parce que quand on construit le verbe céduler pour dire « programmer à un horaire donné », il s'agit d'un calque de l'anglais.
Non, parce que schedule vient lui-même du mot français cédule ! La boucle est bouclée.
Par ailleurs, j'ai trouvé trace d'un usage moderne de cédule pour remplacer post-it. N'est-pas charmant ? Adopté !

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